Davide et Barbara

Histoire de la ferme de Davide et Barbara (écrit en 2012)

(dans la série : le tourment et l'extase… )

Le sous-titre est censé décrire trente années d'espoir, de déception mais aussi de satisfaction, qui m'ont liée, moi Barbara, et plus tard mon fils Davide, à la ferme « Palme », une agrumeraie de 7 hectares située à quelques kilomètres de la périphérie dégradée de la ville de Catane.

La ferme - plusieurs agrumeraies gérées par mon grand-père de manière quelque peu féodale - appartenait à ma grand-mère et j'ai commencé à m'en occuper il y a environ 30 ans, avec mes cousins. Avec l'aide de nos parents, nous les jeunes, avons essayé de moderniser la ferme tout en essayant de faire des économies car elle se trouvait dans le rouge.

Je venais de la ville et ne connaissais rien à l’agriculture que je voyais comme ma dernière chance pour donner une perspective à ma vie. J’étais rebelle mais une rebelle qui ne concluait rien, la contestataire de la famille qui n’avait rien engrangé pour changer les choses. Je peux dire aujourd'hui que l’agriculture m'a sauvé - elle a été une vraie thérapie pour moi - d'un profond malaise dans lequel j'avais sombré.

À l'époque, tout le monde pratiquait l'agriculture conventionnelle. Au fil des années, le marché a commencé à étrangler les producteurs, pratiquant des prix toujours plus bas. Nous devions souvent, mes cousins et moi, entamer des négociations épuisantes avec des acheteurs peu scrupuleux qui réussissaient toujours par nous faire céder (du vrai théâtre !) car nous ne voulions pas risquer de perdre toute notre production.

Entre-temps, j'ai rencontré Peter Midgley, un capitaine de navire anglais qui, après avoir quitté la vie maritime, a décidé de rester en Sicile et de fonder une famille avec moi. Nous vivions à la campagne, avec très peu d'argent mais beaucoup d'amis.

Nous avons alors commencé à fréquenter  le "Bureau Sicilien pour l'agriculture biologique" (Coordinamento Siciliano per l’Agricoltura Biologica) et ce fût un tournant très important pour nous car c'est grâce à ce collectif que sommes sortis de notre isolement et que nous avons réalisé que nous devions prendre soin de la terre de la même manière que nous prendions soin de nous : de manière naturelle.
 
Nous avons alors commencé à ressentir une forte appartenance à ce mouvement de pionniers (considérés comme des imbéciles par presque tout le monde). Nous visitions de nombreuses fermes dans toute la Sicile, discutions de la signification du mot "biologique", échangions nos expériences et expérimentions de nouvelles pratiques agricoles. Des méga-soupes bio et du bon vin sicilien accompagnaient nos réunions. A l'époque, les subventions de la Communauté européenne n'existaient pas encore, donc ceux qui choisissaient le bio le faisaient par choix de vie.

Comme nous ne partagions pas la même vision de l'agriculture biologique, mes cousins et mois avons décidé de partager la ferme en deux. J'ai continué seule, vraiment toute seule, car Peter est mort d'une tumeur foudroyante en juillet 1988 à l'âge de 32 ans me laissant un beau cadeau : Davide naissait en décembre.

Après une année toute seule à la ferme avec mon bébé, nous avons subi un cambriolage qui nous a poussés à retourner vivre à Catane. J'ai ressenti pendant longtemps de la colère et de la frustration puis j'ai renoncé à certains attachements et ai décidé de me servir de ma ferme pour promouvoir l’agriculture biologique et biodynamique. 

Durant ces années difficiles, Nino, un collaborateur fidèle et passionné a été une personne très importante pour moi car il a consacré toute son énergie à me soutenir.

Une autre étape importante de cette période a été lorsque j'ai commencé à envoyer une partie de mes oranges à une coopérative biologique de Varese "L’Ortus" : pour la première fois j'avais l'impression de vendre dans un rapport "humain" avec une confiance réciproque. C'était également la première fois quelqu'un me disait que mes oranges étaient vraiment bonnes !

Au fil des années, les cambriolages ont continué à se succéder dans notre ferme et presque tous nos outils et nos machines ont été volés. Entre actes de vandalisme et actes d'intimidation, cela n'était pas simple de planifier l'avenir.

La ville a continué à progresser avec un air d'expropriation, qui a heureusement été récusé par la suite.

Davide a grandi "à l'état sauvage", me suivant dès son plus jeune âge dans les activités agricoles, apprenant à aimer la terre et la nature. Ce contact avec la liberté du milieu rural a fait qu'il a manifesté, dès l'école primaire, une grande intolérance à l'égard de l’école. En poursuivant ses études, il a pris conscience de l'inadéquation de la structure scolaire, telle qu'elle est actuellement structurée, pour cultiver le potentiel des jeunes. Après le lycée, il a passé deux ans à Florence et après une tentative d'inscription à un cursus agricole, son aversion s’est confirmée de manière définitive et il a décidé d'apprendre tout seul sur le terrain.

La naissance des Galline Felici l’aura très certainement encouragé dans cette voie car cette expérience a redonné espoir à de nombreuses personnes découragées par l'état d'abandon de l'agriculture en Italie. Le collectif est la seule alternative, même si en Sicile cela reste une tâche ardue car chacun a tendance à penser à lui même.

Le Consortium est le fruit de la vision clairvoyante et, je dirais même éclairée de Roberto Li Calzi, un ami fraternel de l'époque de la Lutte Continue dans les années 1970, qui s'est retrouvé lui aussi seul à cultiver ses terres.

De nombreux autres producteurs ont ensuite rejoint le Consortium, dans un esprit de collaboration et de respect de la terre et de toutes les personnes impliquées. Il reigne une très bonne ambiance entre nous mais aussi avec les groupes de consommateurs qui apprécient notre travail. Le travail est considérable mais les résultats obtenus nous encouragent à ne pas abandonner.

Davide a participé à de nombreux marchés et Sbarchi in piazza (marchés paysans sur les places des villes et des villages siciliens) et s'est rendu compte que le Consortium était l'une des rares entreprises à offrir à un jeune la possibilité de travailler "humainement" et de se sentir membre d'un beau collectif. Il travaille dans l'entrepôt où il s'occupe de confectionner les palettes, me donne également un coup de main sur la partie informatique et travaille à la ferme pendant la période où nous expédions beaucoup d'oranges, 

Depuis un an, une famille vit dans notre ferme. Nous espérons que leur présence va permettre de sécuriser l'endroit même s'il est probable qu'il y ait encore des problèmes car les fermes siciliennes sont plongées dans la misère et la dégradation et il n'est pas rare que pour vendre un peu de fer les gens volent des équipements vitaux.

L'année 2012 a confirmé les mauvaises prédictions des Maia ... L'année a été très difficile autant pour le Consortium que pour les fermes. Un de nos camions rempli de produits s'est renversé en chemin ; les grèves et la neige ont paralysé les transports ; tous les éléments étaient à l'œuvre : la pluie, le vent et la plus forte tempête de grêle, suivie de deux jours de cyclone, auxquels se sont ajoutés les incendies d'été ; enfin, "Riela", une entreprise de transport saisie par la mafia avec laquelle nous travaillions a fait faillite.

Notre ferme était méconnaissable, les arbres ressemblaient à des squelettes et toute la production compromise. Nous avons réagi rapidement en replantant 600 nouveaux orangers et en prenant soin des arbres restants, qui végètent de nouveau.

Nous avons foi en l'avenir et espérons que les pratiques du Consortium et d'autres collectifs auront un impact important sur le tissu social sicilien, dans le but d'atteindre le "bonheur" de l'être humain.